
Par Karni Dechoian
Les concepts de langue et de culture sont simultanément une entité entremêlée et deux idées séparées. Tout d’abord, il faut définir ces deux termes. La langue est considérée comme <<un instrument de communication selon lequel l’expérience humaine s’analyse, différemment dans chaque communauté, en unités douées d’un contenu sémantique et d’une expression phonique, les monèmes; cette expression s’articule à son tour en unités distinctives et successives, les phonèmes, en nombre déterminé dans chaque langue, et dont la nature et les rapports mutuels différent eux aussi d’une langue à l’autre>> (Masica 1991). D’après UNESCO, la culture est <<comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances>> (UNESCO). Il y a l’option de choisir l’une ou l’autre extrême par rapport à la connexion entre la langue et la culture, ou même le milieu de cette gamme intéressante, et là réside la magie des interprétations d’une personne. Il y a deux théories populaires opposées qui concernent le lien entre la langue et la culture. La première théorie est celle de la relativité linguistique, qui <<propose un effet des catégories lexico-grammaticales obligatoires et constamment utilisées des langues sur la cognition et la pensée habituelle des locuteurs>> (Université de Montréal). L’autre théorie s’appelle la théorie de l’universalisme. Cette théorie <<est une doctrine ou une opinion qui considère l’univers comme une unité englobant tous les êtres humains et qui d’admet d’autorité que dans le consentement universel. Proche de l’humanisme, l’universalisme philosophique considère que tous les citoyens du monde doivent être respectes>> (La Toupie). Je suis d’accord avec la théorie de la relativité linguistique et avec la maxime <<Tu sauves la langue, tu sauves la culture>>. Ainsi, je crois que les différentes conceptualisations linguistiques jouent un rôle central dans la pensée parce que mes expériences personnelles basées sur mes identités syrienne, arménienne, américaine et francophone m’ont montré que la langue est nécessaire pour contribuer à la façon dont les points de vue et mes croyances sur les cultures respectives de mes identités sont formés.
La langue arabe m’a aidé à complètement vivre la culture syrienne en interagissant avec les personnes des milieux différents. Bien que je sois arménienne d’un point de vue ethnique, je suis née et j’ai été élevée en Syrie. Quand elle avait juste 9 ans, mon arrière-grand-mère avait été mise à la porte de sa maison à Aintab, anciennement une région arménienne de l’ouest, par l’empire ottoman pendant le Génocide Arménien en 1915. Malheureusement, elle est la seule de sa famille à avoir survécu au Génocide Arménien. Elle a dû marcher jusqu’à la ville d’Alep pour recommencer sa vie. Par conséquent, une grande partie de la Diaspora arménienne, y compris ma famille, vit en Syrie. La langue officielle en Syrie est l’arabe, donc j’ai commencé à l’étudier à un âge précoce. De plus, toutes les matières sont enseignées en arabe. La langue arabe ne m’a pas seulement donné l’opportunité d’étudier, mais m’a aussi permis de communiquer avec les Syriens arabophones. Par exemple, chaque jour après l’école, sur la route en rentrant chez moi, j’achetais des snacks qui s’appellent des fatayer avec mes amis. De jour en jour, on a appris à connaître le vendeur en discutant de choses et d’autres. De telles conversations en arabe m’ont permis de mieux m’acclimater au pays qui est devenu ma résidence secondaire, grâce au fait que ce pays a accueilli mes ancêtres à bras ouvert. Ainsi, j’ai pu comprendre la culture, les croyances et le mode de vie syriens en côtoyant des personnes de la région. Je voudrais parler d’un autre exemple dans le domaine de l’éducation en arabe, la manière dont la langue est liée à la culture de manière distincte. Peu de temps après avoir appris la langue arabe, je suis tombée amoureuse de sa littérature. Ma passion pour cette langue m’a amenée à compléter la classe de cinquième avec des notes maximales et a poussé mon professeur de la littérature arabe à poser ma candidature pour que je fasse partie de la compétition nationale de littérature arabe. Ce fut un privilège d’avoir été choisie comme un.e des meilleur.e.s étudiant.e.s du pays. Je devais aller à Damas, la capitale de la Syrie, pour parler avec la première dame, mais malheureusement, on a dû rentrer à Alep parce que la route jusqu’à Damas était très dangereuse et était occupée par ISIS. Une des remarques des juges de la compétition était que j’avais incorporé les leçons morales des textes littéraires arabes dans la culture arménienne et dans ma vie quotidienne. Ce commentaire en particulier m’a permis de me rendre compte que le sentiment d’être syrienne et arménienne n’est pas toujours égal et qu’il est sujet à modifications selon l’endroit et la fréquence de mon utilisation de l’une ou l’autre langue pour explorer la culture. Aussi, j’ai finalement remarqué que mes identités s’entre-heurtent souvent quand j’essaie de les équilibrer.
Je me suis rendu compte que j’essaie inconsciemment de prouver que je suis assez arménienne en Arménie ou assez syrienne en Syrie, à travers la langue et la culture qui s’entrelacent, quand je suis allée en Arménie pour faire partie des jeux olympiques pan-arméniens comme nageuse. Ainsi, j’ai noté qu’il y avait des différences communes entre les Arméniens qui résident en Arménie et ceux qui vivent dans la Diaspora. Les Arméniens de l’est, ceux qui sont en Arménie aujourd’hui, ont vécu sous l’autorité de l’Union soviétique et ont été lourdement influencés par la langue et la culture russe (JSTOR Daily). Par exemple, quand on avait une conversation avec un chauffeur de taxi, il parlait en intégrant, dans la langue qu’il parlait, de nombreux termes et argots russe. Cet événement m’a rappelé des moments où je me sentais exclue lorsque je regardais une émission de télévision arménienne dont la plupart des blagues étaient en russe. Les traditions d’incorporer certains éléments de la langue et de la culture russe dans la vie quotidienne en Arménie, comme la présence d’une traduction russe partout et pour tout ce qui impacte la vie quotidienne, ainsi que l’utilisation de la langue russe dans certaines émissions de télévision arméniennes, montrent en quoi la culture de l’Arménie de l’est est différente de celle de la Diaspora. En plus des dialectes différents entre les Arméniens de l’est et les Arméniens de l’ouest/la Diaspora, je pense que chaque groupe arménien est influencé par la langue et la culture du lieu où il/elle est né(e) et élevé(e). Donc, ces différences culturelles, dans lesquelles la langue joue un rôle énorme, concernent tous les Arméniens. Par exemple, j’ajoute beaucoup d’expressions idiomatiques et de mots arabes quotidiennement quand je parle ma langue maternelle, l’arménien. J’ai d’habitude de faire ça parce que je vois, je lis et j’entends l’arabe partout. Alors, d’un côté, je comprends les Arméniens de l’est parce qu’ils ont utilisé la langue russe dans le passé par obligation et pour avoir un sentiment d’appartenance. Cette influence de la langue russe était si grande qu’ils ont transmis ces traditions et cultures aux générations suivantes même après l’effondrement de l’Union soviétique. De la même façon et pour des motivations similaires, j’utilise l’arabe dans mon parler quotidien. La deuxième observation est que tous les Arméniens de la Diaspora apprennent la langue et l’histoire arménienne non seulement pour avoir la capacité de préserver la culture arménienne en chantant, dansant et composant en arménien, mais aussi pour se sentir unis à notre partie, même de loin. Les actions collectives des Arméniens de l’ouest, par rapport à leurs volontés de rester arméniens et d’éviter l’assimilation, sont parallèles. Mais <<la vision du monde>>, comme le dit Fiorella Boucher, était différente pour chaque groupe dans la Diaspora du fait d’avoir été influencée par la culture et le mode de vie de la région (Centre de la Francophonie des Amériques).
J’ai commencé à réfléchir à ce sentiment d’appartenance en profondeur quand j’ai déménagé aux États-Unis pour échapper à la guerre en Syrie. J’ai réalisé que l’identité se compose de bien plus que de la langue et de la culture. Après avoir déménagé aux États-Unis, je me suis rendue compte que le sentiment d’appartenance est un autre élément important qui contribue à la compréhension de mon identité. Aussi, les expériences d’une personne avec sa langue et sa culture sont de la plus haute importance. Elles créent <<la vision du monde>>, comme l’a insinué Fiorella Boucher, qui est spécifique et unique pour chaque personne (Centre de la Francophonie des Amériques). En fait, la première fois que j’ai entendu ma pensée exprimée tout haut et de manière merveilleusement poétique a été le jour où j’ai vu l’entretien accordé au Centre de la Francophonie Amérique par Fiorella Boucher, une jeune femme qui a des origines différentes de son lieu de naissance, tout comme moi. Surtout pendant la première année aux États-Unis, mes expériences étaient très similaires à celles de Boucher par rapport aux difficultés d’expliquer d’où je viens. Pour elle, <<réapprendre la langue, bien sûr, ça [lui] permet de rapprocher la culture et [son] identité et [sa] vision du monde>> (Centre de la Francophonie des Amériques). Nous avons toutes les deux tiré la conclusion que nos expériences respectives forment nos identités. De plus, nous deux pensons qu’en racontant nos histoires, on peut préserver nos langues et nos cultures. Donc, on peut s’identifier à une fluidité et une combinaison d’appartenance ethnique et d’appartenance communautaire. Je me définis comme une Syrienne-Arménienne parce que je suis fière d’être arménienne d’un point de vue ethnique, mais j’appartiens aussi à la Syrie, le lieu où je suis née. Je pensais que l’ethnicité et le lieu de naissance étaient les deux critères seuls qui constituaient mon identité. Après avoir regardé l’entretien de Boucher, je me suis rendue compte que la vision du monde est un autre élément important qui contribue à la compréhension de mon identité.
Sources:
Picard, Isabelle; Boucher, Fiorella. Amériques Autochtones: Conversation littéraire. Centre de la Francophonie des Amériques, 2022. https://cfa-espacem.com/ameriques-autochtones-conversations-litteraires. Accédé le 17 Novembre 2022.
Définition de l’UNESCO de la culture, Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet – 6 août 1982.
Labelle, Justin. La pluridisciplinarité de la relativité linguistique. Université de Montréal, 16 Décembre 2020, https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/24143?locale-attribute=fr#:~:text=La%20th%C3%A9orie%20de%20la%20relativit%C3%A9,la%20pens%C3%A9e%20habituelle%20des%20locuteurs. Accédé le 17 Novembre 2022.
Masica, Colin. The Indo-Aryan Languages. Cambridge University Press, 1991. Accédé le 5 Février 2023.
La Toupie. Universalisme. https://www.toupie.org/Dictionnaire/Universalisme.htm. Accédé le 5 Février 2023.JSTORE Daily. The Birth of the Soviet Union and the Death of the Russian Revolution. https://daily.jstor.org/the-birth-of-the-soviet-union-and-the-death-of-the-russian-revolution/. Accédé le 5 Février 2023.
Image courtesy of Wikimedia Commons
Written by Fren334
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