
Écrit par Nguyen Pham
On trouvera ci-dessous la traduction d'un extrait d'une lettre d'amour tirée de The Beatrice Letters, un roman épistolaire écrit par Daniel Handler qui est mieux connu sous le pseudonyme Lemony Snickett. Ce roman fait partie de la série littéraire A Series of Unfortunate Events, traduite en français par Rose-Marie Vassallo sous le titre Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire. Cependant, bien que les livres dans la série principale soient déjà traduits, The Beatrice Letters qui est un livre qui découle de la série mais n’en fait pas partie, n’a pas encore été traduit. Cette série est pleine de tragédies, dont la majorité affecte les vies des orphelins Baudelaire, mais aussi celle de Lemony Snickett, qui est à la fois personnage et narrateur de la série. Le roman duquel cette lettre est tirée est une collection de lettres de Lemony Snickett à son amante, Béatrice, qui est morte dans un incendie–une incendie criminel pour être précis. Dans ces lettres, et cette lettre précisément, nous pouvons ressentir la mélancolie et l’angoisse de Lemony Snickett. Il a perdu son amante, pas juste une fois quand elle a choisi quelqu’un d’autre, mais une deuxième fois, quand elle est morte dans un incendie.
Toujours. Continûment. Avec une appréhension croissante et de moins en moins d’espoir.
Je t’aimerai sans me soucier des actions de nos ennemis ou de la jalousie des acteurs. Je t’aimerai sans me soucier de l’indignation de certains parents ou l’ennui des certains amis. Je t’aimerai peu importe ce qui est servi partout dans les cafétérias, et peu importe le jeu qui se joue à toutes les récréations. Je t’aimerai sans me soucier du nombre d’exercices évacuation incendie que nous sommes forcés d’endurer, et peu importe ce qui est écrit sur un tableau noir avec une craie floue et ennuyeuse. Je t’aimerai sans me soucier du nombre d’erreurs que je fais quand j’essaie de réduire les fractions, et peu importe à quel point il est difficile de mémoriser le tableau périodique. Je t’aimerai peu importe la combinaison de ton casier ou comment tu as décidé de passer ton temps pendant les études. Je t’aimerai peu importe la prestation de ton équipe de football dans le match ou combien de taches que j’avais sur ma tenue de pom pom girl. Je t’aimerai si je ne te revois plus jamais, et je t’aimerai si je te revois chaque mardi. Je t’aimerai si tu te coupes les cheveux, et je t’aimerai si tu coupes les cheveux des autres. Je t’aimerai si tu abandonnes ton dressage de chauve-souris et je t’aimerai si tu te retires du théâtre pour prendre une autre profession moins dangereuse. Je t’aimerai si tu laisses tomber ton imperméable sur le sol au lieu de l’accrocher et je t’aimerai si tu trahis ton père. Je t’aimerai même si tu annonces que la poésie d’Edgar Guest est la meilleure du monde, et même si tu annonces que l’œuvre de Zilpha Keatley Snyder est insupportablement ennuyeuse. Je t’aimerai si tu abandonnes le thérémine et te mets à jouer l’hamonica, et je t’aimerai si tu donnes tes marmousets au zoo et tes rainettes à M. Je t’aimerai comme l’étoile de mer aime le récif de corail et comme le kudzu aime les arbres, même si les océans se transforment en sciure de bois et les arbres tombent dans la forêt sans personne pour les entendre. Je t’aimerai comme le pesto aime les fettuccine, comme le raifort aime le miyagi et comme le peppéroni aime la pizza. Je t’aimerai comme le lamantin aime la tête de laitue et comme les taches noires aiment le léopard, comme la sangsue aime la cheville d’un pêcheur à la mouche, et comme un cadavre aime le bec d’un vautour. Je t’aimerai comme le docteur aime ses patients les plus malades, et comme un lac aime ses nageurs les plus assoiffés. Je t’aimerai comme la barbe aime le menton, et les miettes aiment la barbe et comme le document précieux aime l’humidité de la serviette, et l’œil plissé d’un lecteur aime l’impression tachée du document, et comme des larmes de tristesse aiment l’œil plissé alors qu’il déchiffre mal ce qui est écrit. Je t’aimerai comme l’iceberg aime le bateau, et les passagers aiment la chaloupe, et la chaloupe aime les dents du grand cachalot, et le grand cachalot aime le goût des uniformes de la marine. Je t’aimerai comme un enfant aime écouter les conversations de ses parents, et les parents aiment le son de leurs propres voix qui se disputent, et comme le stylo aime écrire les mots que ces voix prononcent pour les conserver dans un carnet. Je t’aimerai comme un bardeau aime tomber d’une maison pendant un jour venteux et touche une personne grincheuse sur le menton, et comme un four aime tomber en panne en train de rôtir une dinde. Je t’aimerai comme un avion aime tomber du ciel bleu et clair, et comme un escalier roulant aime emmêler une écharpe chère dans son mécanisme. Je t’aimerai comme un essuie-tout mouillé aime se froisser en boule et se lancer sur le plafond d’une salle de bain, et une gomme aime laisser de la poussière sur les coiffures des gens qui parlent trop. Je t’aimerai comme un bouton de manchette aime tomber de sa chemise et explorer la fête par lui-même, et comme une paire de gants blancs aime tomber délicatement dans un saladier rempli de punch. Je t’aimerai comme un taxi aime la tache boueuse d’une flaque, et comme une bibliothèque aime le tic-tac patient d’une horloge. Je t’aimerai comme un voleur aime une galerie, et comme un corbeau aime un meurtre, et comme un nuage aime les chauve-souris, et comme une chaîne de montagnes aime les pentes. Je t’aimerai comme la malchance aime les orphelins, comme le feu aime l’innocence et comme la justice aime attendre et simplement observer tandis que tout va mal. Je t’aimerai comme un champ de bataille aime les jeunes gens, et comme la menthe aime tes allergies, et je t’aimerai comme la maison. Je t’aimerai comme un service de pompiers volontaires aime se lancer dans un immeuble en feu et comme les immeubles en feu aime les pourchasser et les faire ressortir, et comme un parachute aime sortir d’un dirigeable et comme un conducteur de dirigeable aime le talonner. Je t’aimerai comme un dague aime le dos d’une certaine personne, et comme une certaine personne aime porter des tuniques qui sont à l’épreuve des dagues, et comme une tunique qui est à l’épreuve des dagues aime aller à une certaine boutique de nettoyage à sec, et comme un certain employé de cette boutique aime veiller tard avec une paire de jumelles dans l’espoir d’attraper une cambrioleuse et comme une cambrioleuse aime s’approcher furtivement des gens avec des jumelles et réalise soudainement qu’elle a oublié sa dague à la maison. Je t’aimerai comme le tiroir aime un compartiment secret, et comme un compartiment secret aime un secret, et comme un secret aime couper le souffler à quelqu’un, et comme une personne qui a le souffle coupé aime un verre de brandy pour calmer ses nerfs, et comme un verre de brandy aime se briser sur le sol, et comme le bruit du verre se brisant aime couper le souffle, et comme quelqu’un d’autre qui a le souffle coupé aime la proximité d’un bureau sur lequel s’appuyer, même si en s’y appuyant, il pousse un levier qui aime ouvrir un tiroir et révéler un compartiments secret. Je t’aimerai jusqu’à ce que tous ces compartiments soient découverts et ouverts, et tous ces secrets se soient évaporés dans le monde. Je t’aimerai jusqu’à ce que tous les codes soient décryptés et les cœurs soient brisés et jusqu’à ce que chaque anagramme et chaque œuf soient dés-embrouillés. Je t’aimerai jusqu’à ce que chaque incendie soit éteint et que tout soit reconstruit et fait de bois les plus beaux et les plus fragiles et jusqu’à ce que chaque criminel soit menotté par les policiers les plus paresseux. Je t’aimerai jusqu’à ce que M. déteste les serpents, et J. déteste la grammaire, et je t’aimerai jusqu’à ce que C. se rende compte que S. n’est pas digne de son amour, et que N. se rende compte qu’il n’est pas digne de l’amour de V. Je t’aimerai jusqu’à ce qu’un oiseau déteste un nid et le ver déteste une pomme, et jusqu’à ce que la pomme déteste un arbre et un arbre déteste un nid, et jusqu’à ce qu’un oiseau déteste un arbre et une pomme déteste un nid, bien que je ne puisse imaginer cette dernière éventualité, même en faisant des efforts. Je t’aimerai alors que nous vieillissons, ce qui vient tout juste de se produire, et se reproduit à nouveau, et encore il y a quelques jours, continuellement et encore quelques années avant cela, et ce qui continuera d’arriver alors que les aiguilles de chaque horloge tournent et que les pages de chaque calendrier marquent ce passage du temps, sauf si l’on a oublié de remonter les horloges et mettre les calendriers en évidence. Je t’aimerai lorsque nous nous éloignerons l’un de l’autre même si nous étions si proches à un moment que nous arrivions à glisser la paille courbée, et la cuillère longue et élancée, entre nos lèvres et nos doigts, respectivement. Je t’aimerai jusqu’à ce que la probabilité que nous nous croisions passe de négligeable à nulle, et jusqu’à ce que ton visage devienne flou et lointain dans ma mémoire, et que ton souvenir soit face à un flou lointain, et cette distance rendue distante par la mémoire mémorisée d’un flou flou. Je t’aimerai où que tu ailles et qui que tu voies, quel que soit l’endroit que tu évites et qui que tu ne voies pas, et qui te voit en évitant où tu vas. Je t’aimerai quoi qu’il t’arrive, et quelle que soit la manière dont je découvre ce qui t’arrive, et quoi qu’il m’arrive en le découvrant, et quelle que soit la manière par laquelle on me découvre après ce qui m’arrive tandis que je le découvre. Je t’aimerai si tu ne te maries pas avec moi. Je t’aimerai même si tu te maries avec quelqu’un d’autre––ton partenaire, peut-être, ou Y. ou même O. ou tous les gens de Z. à A., même R., bien que malheureusement, je crois qu’il faudra beaucoup de temps avant que deux femmes soient autorisées à se marier––et je t’aimerai si tu as un enfant, et je t’aimerai si tu as deux enfants, ou trois, ou même plus, bien que personnellement je crois que trois suffisent, et je t’aimerai même si tu ne te maries jamais, et n’as jamais d’enfants, et que tu passes tes années à regretter de ne pas t’être marié avec moi après tout, et je dois dire que pendant les nuits froides, c’est le scénario que je préfère parmi tous les autres que j’ai mentionnés. Et voilà, Béatrice, c’est ainsi que je t’aimerai alors même que le monde continuera d’avancer sur de mauvaises voies.
– Lemony Snickett (passage tiré de Les lettres de Beatrice)
Ouvrages Cités:
Snicket, Lemony, and Brett ill. Helquist. The Beatrice Letters: A Series of Unfortunate Events Companion Book. HarperCollins, 2006.
Written by Fren 322
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